LE SUD COMMENCE DE TANGER

21 mai-20 juin 2022

Simohamed FETTAKA

C’est entre le 21 mai et le 20 juin que la Gallery Kent accueille entre ses murs les œuvres de Simohamed FETTAKA, qui souhaite les briser au même titre que les frontières. Casser les lignes, les codes, les évidences l’artiste livre une œuvre qui souhaite à la fois briser et rallier les territoires où à Tanger, on dirait le Sud, un « territoire » cosmopolite, fédérateur mais aussi divisé.
Au travers de créations polymorphes, il « n’aime pas les pays mais les cartes » qui sont pour lui des lignes qu’il souhaite rendre invisibles. Ces cartes, elles immortalisent des moments aux identités versatiles où il délivre un message : celui d’un paroxysme entre l’ici et l’ailleurs, le local et le contexte global où tout est, au final, interdépendant. Ces territoires portent en eux un engagement politique assumé avec différents niveaux de lecture inscrits dans la matière.
Peaux de bête, jets d’encre, zellige revisité, Fettaka les fait voler en éclats pour créer un pont interactif avec le public et traduire un espace géopolitique plus fluide avec différents langages. C’est ainsi qu’il manifeste sur ces espaces la vulnérabilité des êtres pour aborder des sujets brûlants d’actualité tels que l’expérience des migrations clandestines, les fantômes de la colonisation, la flétrissure des sociétés et les tensions existentielles entre ruralité, urbanité et animalité.

A la fois visionnaire et accessible, il s’indigne contre l’invisibilité de corps laissés pour compte que l’on laisse mourir et rester en marge dans le silence des gouvernements. Dans une indignation sans fards, celui qui souhaite effacer les
lignes (re)donne une voix aux parias de la société. Ces migrants, ces ouvriers, ces drogués, Fettaka lève cette cape d’invisibilité subie en utilisant l’objet et en déconstruisant l’image et offre à voir le jeu de rôles entre dominants et dominés.

Au final, ces cris d’opprimés deviennent familiers et résonnent en nous. A l’instar de Mohamed Choukri, l’artiste de Tanger rappelle avec une radicalité parfois déconcertante, la volonté de survivre et de protester. Celui qui ne cache pas cette brutalité qu’appelle la vie que l’on vit comme un combat travaille les textures nobles telles que le bois, les vitraux et les peaux et la matière plus modeste (ferraille, cuivre, plastique). Son but ? Signifier l’indistinction que l’écrivain faisaient de ces désespérés de Tanger, du Sud, qu’il récite de manière brute sans cacher le cynisme qui transparaissait dans Le pain nu. Pour l’ancrer dans la modernité, ce funambule adapte ces cris aux collages, vidéos, films et sculpture. Paradoxalement, il déploie une perception du monde non manichéenne et donne à voir un flux limpide et continu où les frontières agonisent.
Cette exposition dévoile une catharsis du pessimisme et de la dérision, comme mille et une facettes de la comédie humaine et de la société du spectacle, comme la décrivait Guy Debord qui démantelait et révélait l’aliénation des vies et les affres de la société capitaliste.

Vous l’aurez compris : cet artiste autodidacte tente là un exercice périlleux qu’il réussit avec maestria. Celui de mélanger le réel cruel et la complexité de ce qui nous paraît évident. Il bouscule ainsi les repères et les certitudes que l’on nous insuffle.

Lorsque l’on pousse cette porte d’entrée de l’inattendu, «le chaos en soi accouche d’une étoile qui danse». «Dans cet écart s’installe un décalage, une latence, une attente et une vie où l’on «étire le temps». Lorsque vous entrez dans les murs de la Gallery Kent, préparez-vous à bousculer vos perceptions, à toucher la porosité des murs mais aussi de votre raison. En voyant la transparence des cartes, de l’invisible, les sens sans cesse renouvelés, vous dépasserez une frontière : celle de l’entendement que vous laisserez sur le pas de la porte pour résister aux lois imposées du monde et de ses injustices.

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